Mon Empire State Building

Mon corps est composé de quelque trente milliards de cellules qui se renouvellent complètement bon an mal an tous les cinq à sept ans selon que je sois un homme ou une femme, jeune ou moins jeune. (Cela rend déjà passablement bien plus humble de se savoir un agglomérat inconstant qu’une réalité immuable et éternelle).

Et tout cela, sans douleur, sans que je n’en sois le moins du monde conscient, indépendamment de ma volonté propre. N’est-ce pas merveilleux ?!

C’est comme si des ouvriers extraordinaires œuvraient vingt-quatre heures sur vingt-quatre sur l’Empire State Building sans que personne ne les voit. Les maçons sortiraient les briques les plus vieilles pour en mettre des neuves. Les électriciens remplaceraient les câbles usés par des nouveaux. Les ferrailleurs remettraient des barres nouvelles dans le béton armé. Les couvreurs changeraient les tuiles patiemment une à une selon la vétusté, les vitriers les fenêtres, les plombiers les conduites d’eau, les climatologues internes les climatisations, etc.

Nous comprenons cette image de déconstruction et de reconstruction minutieuse, quotidienne, attentive, invisible et pourtant bien réelle.

Notre corps est notre Empire State Building sans cesse renouvelé, à chaque seconde, notre tour magique, notre refuge miraculeux.

Quand nous mangeons deux cents grammes de poulet à notre déjeuner, c’est huit cents litres d’eau que nous arrachons à la planète. Ces huit cents litres d’eau auront servi à cultiver la nourriture du poulet, dans le meilleur des cas des céréales.

Quand nous consommons cent cinquante grammes de poisson d’élevage, c’est un kilo de poisson sauvage qu’il aura fallu à son élaboration.

Idem pour tout ce que nous avalons sans conscience dans la plus parfaite et naïve ignorance, qui somme toute nous arrange bien parfois.

La poussière qui régulièrement revient sous mon chiffon est composée de mes petites cellules anciennes qui se sont détachées de mon corps. Ce corps magnifique a d’autres moyens d’évacuations évidentes. Notre souffle, notre transpiration, nos battements cardiaques, tout, absolument toutes nos fonctions vitales participent à ce miraculeux renouvellement.

Et moi !? Qu’est-ce que je fais moi ?

Je donne à mes « ouvriers constructeurs» qui un peu d’huile de palme, qui un peu de goudron et nicotine, qui un peu d’OGM, qui beaucoup de pensées de peur ou de colère, qui des sodas bourrés de sucre et de produits chimiques, qui d’autres encore des muscles d’animaux n’ayant connu aucun bonheur terrestre et complètement stressés par l’Homme.

Ainsi, mon Empire State Building a bien des maux : ça se déglingue par-ci, ça grince par-là, ici il y a rupture de canalisation, là tout est bouché, encore à d’autres étages les vitres explosent, l’électricité disjoncte… et je m’en étonne !

Pff ! Pas cool mon Architecte général ! Bon d’accord, j’ai acheté les matériaux les moins chers pour m’offrir le dernier smartphone. Il aurait quand même pu faire mieux que colmater comme il pouvait avec les mauvais éléments que je lui ai fournis ! Maintenant, j’ai des pannes d’ascenseur, l’ordinateur central bug, ça saute un peu de tous les côtés, aïe ! Mais comment faire ?!

Par chance, cet Architecte général n’a pas de rancune et ne souhaite que me venir en secours. A tout instant, je peux me réveiller et marcher main dans la main avec lui. En cas de menace d’effondrement, ou même avant, ce qui est encore mieux, je peux me renseigner pour trouver les meilleurs matériaux qui me conviennent. Encore plus génial : plus la qualité est au top, moins il me faut de matériaux et plus mon Empire State Building roule comme une horloge bien huilée.

Idem avec les trente mille pensées quotidiennes qui se bousculent sous ma casquette. Je peux trier les plus affolantes et les plus stériles, voire les plus dangereuses et les remplacer par de douces et merveilleuses émotions d’amour et de gratitude.

Ah ! Bien sûr ! Cela demande un effort soutenu de ma part, un besoin d’attention et de respect.

Je ne suis plus le constructeur inconscient mais le jardinier attentif et passionné de mon jardin d’Éden.

J’écoute tous les corps de métiers présents dans mon building, je vibre à ce qu’ils me conseillent et mettent à ma lumière et je ressens dans toutes mes structures les bienfaits que cela m’apportent.

De réparateur fou et irresponsable, je deviens artiste, mon facteur Cheval qui pierre après pierre construit mon chef d’œuvre, même s’il ne plaît qu’à moi.

Dès aujourd’hui, j’habite le plus doux et le plus merveilleux endroit de la planète : mon corps unique et accompli.

Dès maintenant, je jure la main sur le cœur que je vais en prendre le plus grand soin comme du plus magnifique trésor qu’il m’ait été donné sur Terre.

Mon corps, je t’aime.

Namasté – Claudine

CC BY-NC 4.0 Cette œuvre est sous Licence Creative Commons Internationale Attribution-Pas d'Utilisation Commerciale 4.0.

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