Je me prépare

Avec les années qui tournent plus vite que je ne l’aurais jamais imaginé, s’installe en moi une forme de révolte, d’injustice : moi je croyais que je serais toujours jeune !

Cadette de la fratrie, de mes cousins et cousines, forcément de mes oncles et tantes, j’ai toujours été considérée comme « la petite dernière », celle qui doit aller se coucher la première, qui regarde les autres partir danser et s’amuser.

Cela est même allé jusqu’à : «Ah non ! Claudine on ne la réveille pas ! Elle est trop petite ! ». Ma grâce est venue d’une grand-tante qui a jugé l’événement suffisamment important pour qu’on coupe mon sommeil : les premiers pas de l’homme sur la Lune, émission de télévision retransmise au milieu de la nuit, en juillet 1969. J’avais dix ans.

Forte de cette image de gamine, je ne me suis jamais sentie vieille.

Sauf progressivement, maintenant, dans le regard des autres. Par exemple, cette petite doctoresse tout juste émoulue de l’université :

– Comment ! À votre âge ! Vous ne prenez aucun médicament ?!

Hé bien non, mademoiselle, ce n’est ni une fatalité, ni une obligation.

Je regarde avec admiration et envie les champions de danse de rock n’roll : plus légers que des plumes, plus rapides que n’importe quel animal sur pattes. De même les danseurs de danses irlandaises ! Comme le corps humain est une mécanique merveilleuse !

Mes petits enfant évoluent autour de moi avec une énergie jamais épuisée. J’étais comme ça moi ?

Comme on oublie vite sans s’en rendre compte.

Petit-à-petit, le corps s’ankylose, se cristallise.

Pourquoi ? N’est-ce pas méchanceté gratuite ?

Pourquoi à la veille de mes soixante ans, ne pourrais-je pas danser éperdument, grimper sur une chaise d’un saut de puce, sauter d’un arbre, sans grincer comme un vieux sous-marin tout rouillé ?

Pourquoi, bien que je veille à mon alimentation, à mon hygiène de vie, à toujours rester mobile, mon corps se « solidifie » ?

Qu’est-ce que la facilité de mouvement, l’hyperactivité, m’empêche de vivre ?

Peut-être à vouloir trop courir, j’en oublie d’être.

Peut-être, vivons-nous ce ralentissement pour « grandir à l’intérieur ». La métaphore du papillon semble la clé.

Nous sommes chenilles retenues au sol, à la découverte des mille plaisirs de la matérialité, oublieux de voir l’invisible.

En grandissant, nous entrons dans une phase de construction. Nous avons à poser les jalons de notre vie, ce que nous allons en faire, trouver notre place dans la société, inconscients de la finalité, pris que nous sommes par l’importance de se bien trouver.

Puis le rythme ralentit, le corps appelle à être reconnu, entendu. La petite chenille commence à construire son cocon de fil de soie.

Me voilà pieds et mains liés ; enfin … pas tout-à-fait .

Qu’est-ce qui a changé en moi ? Qu’est-ce qui n’est pas altéré ? : ma capacité d’aimer, de penser, de réfléchir.

Que m’apporte l’immobilisme ?

Comme le bébé agité trouve l’apaisement dans l’emmaillotement, mon introspection obligatoire m’amène à l’observation, au calme, à l’émerveillement.

Ce qui en moi se referme m’oblige à une ouverture d’esprit, de conscience, à déployer les ailes de mon regard, de mes perceptions, de mes ressentis.

Toujours, ma fidèle compagne, mon amie infaillible, m’ouvre et me guide : ma respiration me ramène à l’être. Cette seconde-là, ce souffle-là ! Quel lot d’intuitions magnifiques m’apporte-t-elle ? Jusqu’où mes sens peuvent percevoir de l’imperceptible ?

Il n’y a aucune méchanceté à vieillir, juste un acte d’Amour inconditionnel : n’oublie pas de revenir à Moi de ton voyage extraordinaire, là, doucement, en ton centre, Je Suis.

Namasté – Claudine

CC BY-NC 4.0 Cette œuvre est sous Licence Creative Commons Internationale Attribution-Pas d'Utilisation Commerciale 4.0.

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