L’authenticité

Le père de mon jeune ami camerounais vint en Europe il y a une trentaine d’années, je pense.

La datation a de l’importance, vous allez le constater, car alors le brassage des cultures était moins important qu’aujourd’hui.

Il répondit à mon étonnement de savoir pourquoi son papa n’était pas resté, alors que tous les autres membres de sa famille oui :

– parce qu’avant de venir en Europe, il ne savait pas qu’il était noir.

Une main de fer de tristesse étreignit mon cœur. Je lui demandais de préciser sa pensée pour être bien certaine de ma compréhension.

Cette remarque me rappela celle de mon mari aux jours de notre rencontre, il y a vingt ans. La première fois qu’il vint me trouver en Suisse à Renens, depuis une petite ville provinciale de France, il s’exclama :

– waouh ! Tous ces sarrasins !

J’avais beaucoup ri de sa remarque dite sans méchanceté aucune, car il n’a pas de préjugés. Il disait la même chose d’un autre point de vue que de celui du papa de Félicien :

– si eux sont des sarrasins, c’est que, par comparaison, moi je suis européen.

Je racontais ces faits à un autre ami congolais, un peu plus âgé et d’une grande sagesse.

Il m’apprit qu’à l’école, le maître commençait l’enseignement par ceci :

– Soyez toujours fiers de qui vous êtes ! Soyez fiers de votre authenticité ! Nous voulons être libres et non pas ce que les autres voudraient que nous soyons.

Cette maxime est aussi une philosophie politique africaine.

Cela fit écho à une émission de télévision que je venais de voir trois jours plus tôt sur la frénésie actuelle pour la chirurgie esthétique chez les très jeunes gens, hommes et femmes confondus. Une énorme envie de conformité à des codes stéréotypés : des grosses lèvres pour les jeunes femmes et des corps de guerriers Massaï pour les jeunes hommes.

Si mon avis personnel ne me faisait pas trouver cela pathétique, je pourrais rire de ces jeunes personnes qui veulent bien du type africain, mais sans la couleur (quoique la tendance s’inverse en été).

Indépendamment de l’aspect superficiel de la chirurgie esthétique, cela renvoie à un questionnement bien plus profond :

– A quel moment avons-nous perdu notre authenticité, complètement antinomique avec les préjugés racistes ?

… ou peut-être pas tant que cela !

– Je ne supporte pas tes différences !

– Mais je ne supporte pas mes différences non plus !

Pourquoi voulons-nous ressembler à un petit biscuit industriel ? : même couleur, même saveur insipide, même taille au milligramme près ! En un mot : sans âme.

Car plus personne ne nous enseigne la richesse et la merveille de notre authenticité.

Une phrase du professeur Albert Jacquard m’avait touchée profondément lors d’une de ses conférences :

– nous sommes sept milliards de prototypes !

Génétiquement, dans notre microcosme, personne ne nous ressemble.

Nous sommes uniques dans notre incarnation (au sens double du terme « carnation ») mais également absolument uniques dans nos raisonnements et nos formes pensées.

Pourquoi ne pouvons-nous pas ou plus être fiers de Qui nous sommes vraiment ?

Fière de la personne authentique que j’étais avant mon « remplissage conceptuel » ?

Fier et heureux comme le bébé qui gazouille, innocent et convaincu de ne faire qu’un avec sa mère, toute ethnie confondue ?

Ce bébé que nous avons tous été était complètement en phase avec ses ressentis seulement, nos conceptions neuronales incomplètes ne permettant pas à notre mental (ou notre égo) d’analyser les miroirs aux alouettes que nous nous sommes créés, pas à pas.

Comment revenir à nous, au questionnement, alors que la volonté sociétale nous pousse à chercher bonheur et plaisir à l’extérieur ?

Être ou ne pas être (qui ou quoi?)

Telle est la question !

Question qui se pose encore quatre-cent-vingt ans après.

A chacun son Chemin. Il y en a tant : bientôt neuf milliards.

Namasté

Claudine

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