Entrer dans le concept pour pouvoir en sortir

Entrer dans le concept pour pouvoir en sortir

Les mots sont des concepts, une représentation de la réalité. Ils ne sont pas La réalité.

Mes mots représentent ma réalité et peuvent vous conduire à entrapercevoir votre réalité, peut-être, si je sais vous toucher.

Un tout petit enfant voit la réalité sans concept, sans mot. Tout est émerveillement, découverte, nouveauté. Tout ce qu’il voit, touche, goûte, sent, entend n’est pas enfermé dans l’idée conceptuelle d’un mot, d’une étiquette.

Puis, petit à petit, il enferme sa réalité dans des cases, des mots. Ce qu’il serrait contre son cœur comme le plus grand des trésors consolateurs, cette chose toute douce et velue, devient par le biais d’un adulte, d’un conceptualiste, un doudou.

De cette notion un peu vague, le doudou devient un nounours. Lui aussi enfermé dans son nom, Nounours perd son pouvoir magique et rassurant en rejoignant la cohorte d’ours en peluche que l’enfant conceptualisé devra quitter un jour.

« Tu n’as plus besoin de ton doudou, tu es grand-e maintenant ».

Certes, l’enfant devenu adulte peut lâcher son nounours, mais comment remplacera-t-il la véritable réalité consolatrice dudit doudou ?

En 1880 naît en Amérique une enfant devenue sourde et aveugle à 19 mois, Helen Keller. Impossible à ses parents de la faire entrer dans des concepts : « mange », « lave-toi les mains », « dis bonjour à la dame ». Cette enfant est comme un petit animal sauvage, guidée uniquement par ses deux réalités : « j’aime », « je n’aime pas ».

A l’âge de sept ans, survient dans sa vie une éducatrice merveilleuse de patience et d’endurance : Anne Sullivan. Dans la main de la petite fille, Anne signe avec sa main chaque mot, chaque concept, dans le langage des signes. Helen prend comme un frein à ses envies innées de plaisir uniquement tout ce qu’Anne lui nomme, incapable qu’est la petite de faire le lien entre la chose et le nom, entre l’idée et le mot. Pas de communication possible.

Par un jour de grâce, Helen touche de l’eau qui coule, chose qu’elle trouve particulièrement agréable. Anne, malgré la réticence et l’énervement d’Helen lui prend la main et fait le signe « eau » en langage des signes dans la main de l’enfant, encore et encore. Le cerveau d’Helen fait enfin le lien entre le signe et ce qu’elle touche, entre l’eau et le mot « eau » signé par Anne.

Elle entre dans le concept «objet=nom».

Une grande lumière fait jour pour Helen, elle devient boulimique de tout apprendre, tout nommer, tout comprendre. En quelques mois à peine, elle apprend près de six cents mots en langage des signes, le braille ainsi que ses tables de multiplication. Devenue adulte, elle crée une fondation pour personnes handicapées*.

Quand nous parlons, nous énonçons des concepts, des idées enfermées dans des mots, qui permettent la communication.

Nous n’énonçons pas la réalité. La réalité n’est pas un concept puisqu’elle est mouvement.

Ta réalité de l’instant, à toi qui me lis, ne sera plus la même dans une minute, une heure, un jour, un an. Tu n’auras plus le même âge, peut-être plus le même travail, les mêmes amis… etc. Absolument rien n’est immuable. Tout est vibrations, en perpétuel changement.

Nous sommes obligés d’entrer dans des concepts, dans des mots, pour pouvoir communiquer. Le plus difficile est d’en sortir pour pouvoir appréhender la réalité telle qu’elle est, quoi que conditionnée par notre propre réalité unique parmi sept milliards d’individus ayant sa propre réalité.

Comment sortir du mot « Nounours », figé dans une catégorie très éloignée déjà du mot « Doudou », plus vague dans sa représentation, pour revenir alors au ressenti apporté par l’objet ?

Tout l’art d’entrer en éveil revient à faire ce chemin inverse !

Namasté

(un concept nommé 😉 ) Claudine

* En 1915, Helen fonde avec George Kessler l’organisation Helen Keller International (HKI) afin de soutenir la prévention de la cécité et la réduction de la malnutrition dans le monde. HKI est aujourd’hui présente dans 22 pays.

CC BY-NC 4.0 Cette œuvre est sous Licence Creative Commons Internationale Attribution-Pas d'Utilisation Commerciale 4.0.

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